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l’amour, vous préparez de cruels déplaisirs à l’homme qui oserait hasarder une déclaration à vos pieds ?

— Eh ! monsieur, tous les jeunes gens de l’Asie Mineure sont prêts à hasarder une déclaration aux pieds de la même femme ! Je vous demande s’il faut croire à l’amour de tous ces messieurs… À les entendre, ils seraient tous amoureux au même degré. Depuis le commencement du bal, tous mes danseurs ont bégayé quelque chose dans ce genre. L’amour ne se déclare pas ; il se prouve. Voilà ce que vous ignorez, messieurs.

— Madame, dit Ernest de Lucy, la folie d’un bal de noces nous donne quelque liberté cette nuit, et, pour mon compte, je veux en user. Ces occasions sont rares. Demain nous vous reverrons dans la majesté imposante de votre costume de ville ; il faudra s’incliner et passer. À cette heure, vous êtes accessible comme une simple mortelle. Le bal a fait descendre l’Olympe sur les bords de cet Hermus où il a été créé. Nous pouvons vous parler face à face, comme si nous étions vos égaux. Madame, vous êtes jeune, belle, riche, adorée. Tous ceux qui vous verront doivent tomber à vos pieds au premier signe de votre main. Quelles preuves demanderez-vous à celui que vous retirerez de la poussière pour l’élever jusqu’à vous ?

— C’est une demande indiscrète, monsieur de Lucy ; mais la liberté du bal excuse tout, vous avez raison, et je vous répondrai… J’aime les voyages, les émotions, la vie turbulente et imprévue. Une femme isolée comme moi doit se résigner à la monotonie d’une existence casanière et aux ennuis d’une richesse, oisive et inutile. Ainsi, pour vivre selon mes goûts, il faut que je me marie une seconde fois. Je me donner deux ans de réflexion. Un second mariage est plus sérieux que le premier, parce qu’une veuve sait très-bien ce qu’elle