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— Au reste, dit Edgard, je n’ai fait que répéter à voix basse ce que Smyrne dit tout haut.

— Soyez de bonne foi, monsieur Edgard, dit la comtesse ; croyez-vous qu’une clause de testament soit nécessaire pour forcer un homme à subir le bonheur d’épouser ma jeune amie, notre belle Grecque Amalia ?

— J’en appellerai aussi à votre bonne foi, madame ; la clause du testament existe-t-elle ? Voulez-vous que je vous cite les vers de Byron qui célèbrent les fiançailles d’Amalia, encore enfant, et de Douglas Stafford ? Vous savez comme moi, madame, que lord Byron avait pris sous sa protection puissante la petite orpheline de Missolonghi, et que le mariage de ce soir lui donne, par contrat, douze mille livres de dot. C’est beaucoup lorsqu’on n’a rien.

— Tout cela est vrai, dit la comtesse ; mais avouez au moins que le colonel Douglas est dans la rare position d’un homme qui est condamné au bonheur.

— C’est toujours une condamnation, madame.

— Vraiment, monsieur Edgard, vous vous vieillissez terriblement à mes yeux.

— Écoutez, madame ; j’ai vu débarquer le colonel Douglas, l’an dernier, à son arrivée des Grandes-Indes, et je vous affirme que sa figure portait une profonde teinte de mélancolie, sous une triple couche de soleil : on aurait dit qu’il était traîné à la remorque vers le contrat nuptial.

— Ceci peut aisément s’expliquer. Le colonel aime passionnément la guerre de l’Inde. Il commandait, sinon en titre, du moins en fait, l’armée anglaise dans la province du Nizam. De hautes distinctions allaient récompenser de pénibles et glorieux services, lorsqu’il a été appelé à White-hall pour donner de vive voix des explications sur cette guerre mystérieuse qui désole le