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que dirais-je moi-même ? Je ne veux pas me déshonorer à mes propres yeux.

— Après tout, que pouvez-vous craindre de la comtesse Octavie ? Il me semble qu’en l’attendant ici de pied ferme, vous ne faites pas une grande dépense d’héroïsme, cher Edward.

— Ah ! cela vous paraît ainsi, cher Douglas… Eh bien, vous êtes dans l’erreur. Je l’attendrai puisqu’il le faut, mais j’efface Régulus et Curtius… Parce que vous me voyez sourire, vous me croyez brouillé avec le désespoir. Je vous mens, mentez comme moi.

— Et que fais-je donc ?… Savez-vous, Edward, que ma douleur est déjà vieille de la moitié d’un jour ? que son premier accès a failli me tuer ce matin, et qu’en échappant à ce coup de tonnerre, j’ai appuyé trois fois la poignée de mon poignard sur mon cœur ?… Vous voyez bien qu’à cette heure je vous mens.

— Pas assez, Douglas.

— Sondez-vous comme moi, Edward, l’horreur de ma position ? Voyons… donnez un nom humain à la chose fatale qui m’arrive ; imaginez un moyen pour me retirer vivant de ce gouffre où la dépêche d’hier m’a précipité… Je n’ai pas même le suicide pour me sauver. Ma vie est attachée à la vie de mes soldats. Si je puis disposer de la mienne, je dois respecter la leur.

— Mais vous ne pouvez pas même disposer de la vôtre, cher Douglas ! et d’ailleurs le suicide est une lâche désertion, et vous êtes en pays ennemi, mon colonel.

— Edward ! dit le colonel avec une expression de voix sourde, mais plus déchirante que le cri d’un blessé, Edward ! ma tête brûle, ma raison s’échappe du cerveau, je le sens… Il faut que je réponde au ministre demain… il le faut… que répondre ?