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jeune comte Élona Brodzinski. Voici la vérité : le comte polonais a disparu le lendemain de cette malheureuse fête ; on ne sait ce qu’il est devenu ; je présume qu’il a suivi la caravane de Mételin, et qu’il est allé en terre sainte. Pauvre jeune homme !

En lisant cette lettre, Edward avait accompagné chaque ligne d’un monologue de commentaires ; après l’avoir lue, il la laissa tomber, et ses bras tombèrent aussi de toute leur longueur, comme pour suivre la lettre. Cet homme intrépide, qui venait de lutter, sans pâlir, avec une armée de démons indiens, entre des ruines et des tigres, dans un carrefour de l’enfer, tremblait comme la feuille au vent, à la lecture d’une lettre de femme. Puis, comme il arrive à toutes les âmes fortes, il se retrempa vigoureusement dans un accès de courage viril ; il ramassa la lettre et se dit à lui-même, pour s’exciter mieux : « Allons secourir le pauvre Douglas ! »

Le nabab, sa fille, le colonel Douglas et le comte Élona, se mettaient à table, lorsque Edward parut ; il salua de son plus gracieux sourire, et s’assit.

« Nous vous avons attendu, sir Edward, dit Arinda ; votre exactitude est en retard d’un quart d’heure.

— C’est que, miss Arinda, j’avais réglé mon exactitude sur ma montre ; vous savez que les montres ne servent qu’à dire l’heure qui n’est pas.

— Avez-vous reçu des lettres de Londres par le dernier paquebot, sir Edward ?

— Oh ! j’ai renoncé au genre épistolaire depuis longtemps. Les lettres abrègent la vie. On passe la vie à désirer des lettres. Un facteur est un messie qui n’arrive jamais quand on l’attend, et qui arrive quand on ne l’attend pas. Dernièrement, j’assistais à Golden-Cross