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calomnies qui se faisait entre nos amis, et qui devait amener un résultat déplorable, comme vous allez le voir.

Cependant les invités arrivaient en foule, les croisées resplendissaient de lumière : on dansait déjà partout.

J’avais triomphé de la résistance d’Amalia ; je l’avais entraînée à la fête pour la distraire un peu. Il était convenu qu’elle ne danserait pas. Le tuteur et deux parents d’Amalia nous accompagnaient ; M. Ernest de Lucy donnait le bras à ma jeune amie ; M. Edgard de Bagnerie me donnait le sien. Nous arrivons à la grille, nous descendons de voiture… Un domestique nous barre le passage et nous demande avec un ton insolent, écho de la voix de ses maîtres, si nous avons nos billets d’invitation.

Nous les avons reçus l’an dernier, répondit M. Ernest de Lucy.

— J’obéis à des ordres, » dit le domestique en se plaçant devant là grille, en pose de Cerbère.

Une inspiration soudaine m’éclaira ; je compris tout, « Venez, dis-je à M. de Lucy. N’attendons pas une troisième insolence. » Le jeune homme garda le silence et m’obéit.

De nouveaux invités arrivaient, et la grille s’ouvrait à deux battants. On ne leur demandait pas de cartes d’entrée à ceux-là. Oh ! il n’y a pas de supplice comparable à celui que j’ai souffert à cette heure ! descendre d’une voiture, en robe de bal, recevoir l’insulte d’un valet, subir les regards ironiques des belles dames qui entrent, joyeusement suspendues aux bras de leurs cavaliers !… le Néron des femmes ne saurait leur inventer rien de plus cruel !… Nos deux jeunes gens furent admirables de tact parisien et de présence d’esprit.