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Un quart d’heure de galop brise la force de l’homme, et même la faiblesse de la femme. Il est triste de dire que le bonheur du bal a seulement quinze minutes à nous donner.

Au retour, par un sentier dévasté comme un sillon d’épis après la moisson, le galop éteint prit l’allure tranquille de la promenade ; les jeunes gens n’enlevaient plus les danseuses aux lambris verts de l’allée : ils les reconduisaient avec un calme respectueux à la salle du bal. La folie s’était abaissée jusqu’à la raison.

Un seul groupe n’avait pas suivi le reflux du torrent devenu paisible. Cette scission, ne diminuant pas à vue d’œil le nombre des danseurs, ne pouvait être remarquée par les maîtres de la maison. Trois jeunes gens et une jeune femme formaient ce groupe. La femme était assise dans un pavillon ouvert sur le golfe, et elle avait engagé avec ses interlocuteurs un de ces entretiens décousus qui naissent au milieu du délire du bal, lorsque la respiration haletante trahit le désordre de la pensée dans la faiblesse de la voix.

« La fraîcheur est délicieuse ici, disait-elle en ramenant avec ses mains un peu de symétrie dans le désordre de sa chevelure ; nous respirons un instant. Vous me sacrifierez un quadrille, n’est-ce pas, messieurs ?

— Nous vous sacrifierons le bal, madame, dit un jeune homme dont la voix n’empruntait pas son émotion à la fièvre des pieds.

— Monsieur Ernest de Lucy, dit la jeune femme en s’inclinant, vous êtes généreux comme un noble artiste que vous êtes.

— Je veux être plus généreux, moi, belle comtesse ; je vous sacrifie tous les bals de la saison, dit un autre jeune homme dont la parole, naturellement ar-