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ward et Douglas, exercés dès leur enfance aux grandes luttes de force, d’adresse, d’agilité, n’égaraient pas un seul coup du fer de leurs poings robustes, ou de l’acier de leurs poignards : les monstres tombaient en les abordant, et ceux qui se relevaient tombaient deux fois et ne se relevaient plus. Cet horrible travail de destruction s’accomplissait dans un silence morne qui n’était pas même troublé par les plaintes des mourants.

Une seule voix, un seul cri retentissait sous les voûtes d’arbres, cri lugubre et impossible à noter sur le clavier humain : c’était le fakir Souniacy qui jetait, par intervalles, une syllabe d’exhortation religieuse à ses fanatiques étrangleurs. Lorsque les Taugs, un instant découragés, entendaient cette voix, ils faisaient craquer leurs dents de cannibales ; ils ployaient leurs corps sur leurs jarrets d’acier, tordaient leurs bras immenses, secouaient leurs cheveux noirs, et se précipitaient avec une furie nouvelle sur l’ennemi. Ceux qui, percés au cœur d’un coup de poignard, roulaient sur l’herbe, comme des tronçons de serpent, ressuscitaient à la voix du fakir ; et, cadavres sanglants et galvanisés, ils étreignaient encore les pieds des soldats, et rendaient le dernier soupir en arrachant des lambeaux de chair vive sous la dernière contraction de leurs dents.

Tout à coup cette voix du fakir s’éteignit au centre de la bataille ; on ne l’entendit plus que dans un lointain confus, mais plaintive et déchirante : elle semblait sortir d’un sépulcre aux limites du bois.

Les Taugs répondirent par un long cri de désespoir ; et, comme si la désertion incompréhensible du fakir leur eût soudainement enlevé leur courage, ils s’élancèrent avec une agilité sans rivale sur les traces de Souniacy.