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leurs passagers sur un sentier d’asphodèles blanches et jaunes, qui conduit à un vaste péristyle de colonnettes de marbre ionien. C’est là que le maître assemble, pour le bal ou le festin, ses invités de la société de Smyrne, la ville surnommée le Paris du Levant.

Un soir de juin 183., cette maison était en fête. On y donnait un bal en l’honneur du mariage du colonel Douglas Stafford, qui allait épouser une jeune fille grecque ennoblie par la mort de son glorieux père et par les vers de lord Byron. On devait signer le lendemain le contrat à l’état civil consulaire, à l’issue du bal.

À voir la furie de la danse, quatre heures après le premier coup d’archet, il était facile de présumer que les quadrilles seraient encore en mouvement à midi. La molle Ionie, tant célébrée à cause de sa langueur proverbiale, par des poëtes indolents, semblait avoir abandonné cette nuit les rives de l’Hermus. À ce bal, l’Europe, représentée par ses colonies consulaires et ses artistes nomades, donnait un démenti au climat d’Homère, par toutes les langues de l’Occident.

L’orchestre venait de déchaîner un galop d’Auber, et l’éblouissante traînée de fleurs, de pierreries et de femmes, trop à l’étroit dans la vaste colonnade pour bondir à l’aise jusqu’au dernier souffle, s’échappa comme un nuage d’oiseaux d’une volière, et agrandit la salle du bal en lui donnant pour limite le golfe voisin. Pas une fleur ne resta debout sur le sentier agreste : la joyeuse tempête du galop dévora tout ; des milliers de familles végétales, filles de la mer et du soleil, périrent en un clin d’œil sous les pieds les plus légers de Smyrne, au son de la musique, au murmure charmant des petites vagues, et dans un délicieux concert de paroles haletantes et d’éclats de rire enfantins.