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que ma cellule touche à celle de la supérieure, et l’on entend chaque mot qui s’y dit. Heureusement que la señora Monique dormait assez bruyamment pour nous rassurer. — Mais, d’ordinaire, voici le lieu de nos rendez-vous ? Vois-tu cette petite bruyère parfumée, ma chère Mariquita 2… Cette nuit, nous étions là tous deux ; je tenais sa main dans la mienne ; sa tête était appuyée sur mon sein ; je sentais battre l’artère sur sa tempe ; nous étions si fatigués tous deux, tellement accablés de bonheur, que nous ne pouvions parler ; seulement nous soupirions de temps en temps, en regardant le ciel étoilé. Nous voyions la croix du sud 3 s’incliner lentement là devant nous, et de temps en temps une légère brise de la mer faisait tomber sur nos têtes des fleurs d’oranger… Ô Mariquita, que nous étions bien ! Si tu savais quels plaisirs nous donne l’amour ! Je ne conçois pas comment on n’en meurt pas… (Elle cache sa tête sur le cou de doña Maria.) Ah ! Maria, Maria… mais, mademoiselle, vous ne devez pas connaître encore tous ces mystères-là… — Tu es trop jeune encore, petite amie. J’ai trois ans de plus que toi, et je ne suis si savante que depuis quelques semaines ; ainsi, tu peux attendre encore : ton temps viendra. — Une seule chose m’inquiète. Nous n’avons pas d’asile ; nous bivouaquons. Comment ferons-nous dans la saison des pluies ? Le jardin ne sera pas tenable. Peut-être la cabane du jardinier pourrait-elle nous servir.

Doña Maria avec un sourire amer. Voilà jusqu’où va ta prévoyance… imprudente que tu es ! Il est impossible qu’avant un mois tout ne soit découvert. On verra Fray Eugenio escalader les murs du couvent. — On l’arrêtera ; votre intrigue sera connue ; il sera renfermé dans quelque couvent de la Trappe ; toi, on te mettra aux Filles repenties. — Pourquoi ne te sauves-tu pas avec lui ? c’est, crois-moi, le parti le plus prudent… c’est la seule chance de salut qui vous reste.

Doña Francisca. Hélas ! ma bonne, tu m’effraies ; mais que faire ? Tu oublies que Fray Eugenio n’a presque rien, et que moi je n’ai que ce que je tiens des bontés de mon grand-père. Pour un enlèvement il faut autre chose que de l’amour ; il faut ce dont les romanciers ne parlent pas, de