de lune, nous dansions toutes dans ce jardin, et lui, debout, adossé à cet oranger, nous regardait. En tournant devant lui, une fleur qui était dans mes cheveux tomba à ses pieds. D’abord il ne fit pas semblant de s’en apercevoir, mais il laissa tomber son mouchoir négligemment sur la fleur, puis il se baissa pour le ramasser, et il ramassa la fleur en même temps. Quand on se reposa, je m’approchai de lui, et je lui dis tout bas et en riant, et cependant je tremblais, et j’entendais distinctement battre mon cœur : « Fray Eugenio, vous m’avez pris cette fleur ; rendez-la-moi… » Il me parut tout interdit. Il tira la fleur de son sein, et me la rendit. La lune était alors voilée par un petit nuage blanc. « Pourquoi m’ôtez-vous, dit-il, ce que vous avez jeté comme une bagatelle, et ce que j’ai ramassé comme un trésor ? » Il souriait et s’efforçait d’avoir l’air de plaisanter ; mais nous étions bien sérieux l’un et l’autre. « Prenez, lui dis-je : je vous la rends, puisque vous y tenez. » Et j’étendis la main : la fleur tomba, et ma main se trouva dans celle d’Eugenio. Alors un tel tremblement me saisit, que, si je n’avais pas été soutenue par lui, je serais tombée à terre. Je ne sais ce qu’il me dit, ni ce que je dis, ni combien de temps nous restâmes sous cet oranger ; mais, en nous séparant, nous savions que nous nous aimions, et nous avions trouvé un moyen de nous revoir. — Te le dirai-je, chère amie, ce moyen ? Tu vas me gronder. Je feignis de vouloir me confesser ; j’allai à l’église, je me mis à genoux devant lui, et, dans ce confessionnal, Dieu entendit des serments d’amour, au lieu d’aveux et de remontrances. Nous ne pouvions nous toucher que le bout des doigts ; mais je sentais son haleine brûlante qui caressait ma bouche… et nous baisions les grillages avec des transports frénétiques… Oh ! si j’avais pu alors me jeter dans ses bras, j’aurais consenti à être anéantie après une heure de bonheur.
Doña Maria. Et vous êtes heureux !… Si vous étiez découverts ?
Doña Francisca. Oh ! cela est impossible. Eugenio est si prudent ! Il n’entre que la nuit dans ce jardin, et une fois seulement il a consenti, à grand-peine, à monter dans ma chambre. C’était une grande folie de ma part ; car tu sais