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Doña Irène. Ma foi, cela sied bien à un homme. Si j’étais homme, je voudrais être colonel de dragons.

Doña Ximena. Moi, si j’étais homme, je serais capitaine de vaisseau. As-tu remarqué les enfants qu’ils appellent les cadets de marine ? Comme ils sont gentils avec leur petite veste bleue et leur pantalon blanc !

Doña Francisca. Et vous seriez filles à ne trouver bien un homme que s’il a des galons sur la manche, et sur la tête un chapeau à trois cornes ou bien un casque ?

Doña Irène. Pour cela, non. Tiens, sans aller bien loin, nous voyons tous les jours un bien bel homme qui n’a pourtant pas d’uniforme.

Doña Ximena. Je sais qui tu veux dire, et cela est bien vrai.

Doña Francisca. Qui donc ?

Doña Irène. Belle demande ! Fray Eugenio.

Doña Francisca. Fray Eugenio !

Doña Maria. Fray Eugenio !

Doña Ximena. Il est certain qu’il n’est pas possible d’avoir de plus belles mains que les siennes.

Doña Irène. Et, dans ses yeux, quelle noblesse et quelle douceur tout à la fois !

Doña Ximena. C’est dommage qu’il ne porte pas de moustaches ; il a la bouche un peu grande.

Doña Irène. Pas trop pour un homme, et il a des dents superbes. Aussi faut-il voir comme il en prend soin. C’est pour cela, je crois, que, depuis quelque temps, il ne fume plus. — Pourquoi ris-tu, Paquita ?

Doña Francisca. Je ris de la profondeur de vos observations.

Doña Ximena. Ce que j’aime le plus en lui, c’est qu’il est toujours de bonne humeur. Il est facile, jovial ; c’est tout l’opposé de son prédécesseur, feu l’abbé Domingo Ojeda, qui nous tracassait à tout propos. Fray Eugenio nous permet de danser entre nous, de chanter et de rire, et il nous répète à chaque instant : Amusez-vous pendant que vous êtes jeunes. Il prend toujours notre parti auprès de notre vieille supérieure, qui est d’humeur si acariâtre : en vérité, c’est un galant homme.