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joli ? Et les éperons, parlez-moi de cela ! Quand ils entrent dans l’église, ils font tant de bruit que tout le monde les regarde. Les marins n’en pourraient pas faire autant.

Doña Ximena. C’est qu’ils ne veulent pas faire les capitans matamores comme les dragons. Mais les officiers de l’Esmeralda sont des braves à trois poils. Tout le monde le sait. D’abord il faut tant de courage pour être marin.

Doña Irène. Comme s’il n’en fallait pas pour être dragon ? Quant à moi, je serais tout aussi effrayée de monter sur un cheval que de naviguer sur un vaisseau en pleine mer.

Doña Ximena. Et les tempêtes, les naufrages et les combats ! c’est là qu’il faut avoir du cœur ! Tous ces canons que tu vois aux sabords tirent avec des boulets ramés qui tuent vingt hommes à la fois…

Doña Irène. Mesdemoiselles, remarquez-vous que Ximena sait déjà tous les termes de marine, depuis qu’elle a donné son cœur à un capitaine de frégate ?

Doña Ximena. Je ne lui ai rien donné du tout, et je ne lui ai pas encore parlé ; mais il a une lettre de recommandation pour ma tante. Je le verrai chez elle dimanche, et je sais seulement que c’est un jeune homme très comme il faut. D’abord il faut être gentilhomme pour entrer dans la marine.

Doña Irène. Si tu ne lui as pas encore parlé avec la bouche, tu lui as assez parlé, Dieu merci, avec ton éventail.

Doña Ximena. Mon Dieu ! toi qui parles, tu n’as pas cessé de faire des signes, et d’envoyer des œillades à ton grand capitaine, don Rafael Samaniego. Un joli nom ! au lieu que le capitaine de l’Esmeralda s’appelle don Juan de Garibay, ce qui est un nom basque, pour que vous le sachiez, et il a une croix d’Alcantara, et il a soutenu un très beau combat naval, et il s’est battu au pistolet à Carthagène avec un Anglais à qui il a cassé le bras, et…

Doña Francisca. Comme tu sais bien son histoire !

Doña Irène. Je n’aime pas le pistolet, c’est bête ; au lieu que l’épée, c’est bien plus gracieux. Le mois dernier, don Rafael s’est battu à l’épée. Il est d’une adresse surprenante.

Doña Francisca. Il paraît que l’habit militaire a des attraits tout-puissants à vos yeux.