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lisons : « Cher don Esteban, je suis au désespoir de vous quitter… mais il faut absolument que je me rende à Lisbonne. Comme il me semble que vous ne vous plaisez pas beaucoup en Portugal… je vous engage à retourner auprès de votre excellente femme… qui doit être bien en peine de vous. Adieu, vivez heureux auprès d’elle… ne soyez pas en peine de moi… Don César… » Oh !… (Il jette la lettre. — Silence.) Je le mérite… (Il reprend la lettre et la relit.) Oui, je le mérite… J’ai quitté un ange pour me jeter dans les griffes d’un démon… Me venger ?… non, je n’ai plus de courage… Que vais-je devenir ?… Comment oserai-je me présenter devant le vieux Mendo ?… car Inès… j’en suis sûr, elle me tendra les bras la première… mais Mendo !… Si ce valet ?… Il a dû lui dire… Ô monstre que je suis !… Je l’ai peut-être tuée ! Inès, Inès ! est-ce toi ou ton cadavre qui m’attend à Mendoza ?… Non, je ne puis plus longtemps supporter cette incertitude ! Il faut en sortir !… Je vais à Mendoza, dussé-je porter ma tête à mes ennemis !

Entre Pedro.

Ah ! Pedro, quelles nouvelles ?

Pedro. Monseigneur, je suis revenu à vous… je n’ai pu mentir… En voyant la douleur de madame… j’ai tout avoué.

Don Esteban. Hé bien ?

Pedro. Ils ont quitté Mendoza. Monsieur Mendo la mène aux Ursulines de Badajoz.

Don Esteban. J’y cours. Pedro, t’ont-ils envoyé vers moi ?

Pedro. Monseigneur… madame m’a donné ce billet pour vous… sans que monsieur Mendo la vît…

Don Esteban après avoir lu. Pas un reproche !… Ange du ciel !… comment ai-je pu te tromper ? — Pedro, viens ; crevons des chevaux… il faut être aujourd’hui à Badajoz.

Pedro. Je ne sais si nous le pourrons. Il faudra prendre des chemins détournés, monseigneur.

Don Esteban. Pourquoi ?

Pedro. Tout l’Alentejo est en armes. La garnison d’Avis vient d’être massacrée par les paysans insurgés… tout Espagnol qui tombe entre leurs mains est mis à mort sur-le-champ.