Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nêtes laboureurs et de vieux chrétiens… Il y a bien des duchesses, m’a dit Esteban, qui, il y a cent ans, étaient de pauvres Morisques… et puis, quand il a commencé à me faire la cour, je lui ai dit qu’il allât en conter aux grandes dames, et qu’il nous laissât en paix, nous autres paysannes… mais il m’a montré tant d’amour… tant d’amour ! que je suis persuadée qu’il sera plus heureux avec moi qu’avec une infante d’Aragon.

Mendo. Ce mariage lui fait manquer sa fortune : y as-tu songé, Inès ?

Inès. Il est riche, et puis il pense, comme moi, qu’un peu d’amour vaut beaucoup d’or.

Mendo. Une Inès Mendo épouser un Mendoza ! La fille d’un laboureur et un grand d’Espagne !

Inès. L’infant don Pédro a bien épousé la fille d’un laboureur, qui s’appelait Inès aussi 5. La romance le dit bien.

Mendo. Et tu sais comme cette union fut heureuse. D’ailleurs, Inès était la fille d’un laboureur… Sais-tu si don Pédro… Sais-tu si je suis même un laboureur ?

Inès souriant. Je vois bien qui vous êtes.

Mendo. Non, Inès, tu ne le sais pas !

Inès. Qu’avez-vous, mon père ? Quels yeux vous me faites !… Je vous afflige. Peut-être voulez-vous dire qu’il y a quelque tache dans notre famille… Peut-être qu’un de nos grands-pères a fait quelque chose de mal.

Mendo. Et si c’était ton père ?

Inès effrayée. Cela n’est pas vrai !

Mendo hors de lui. Je te le dis !

Inès. Jésus, Marie !… Mais cela n’est pas vrai… vous ne dites cela que pour m’effrayer… pour me faire renoncer à ce mariage ; et quand même, quel crime si grand avez-vous commis qu’il ne soit expié par la vie de pénitent que vous menez dans cette maison ? Vous êtes plus sévère pour vous-même qu’un moine.

Mendo. Pauvre Inès ! la souillure qui est en moi ne te quittera qu’à la mort… Pardonne-moi de te l’avoir transmise ! Inès… je ne suis coupable d’aucun crime, et cependant pas un homme ne voudrait être mon ami… Ma pauvre