Mendo. Inès sent bien elle-même…
Don Luis. Eh bien ! c’est à elle que je m’en rapporte. Si elle dit oui, vous consentez, n’est-ce pas ? A-t-on jamais vu un vilain faire tant de difficultés pour se laisser savonner !
Mendo après un silence. Oui ! je lui dirai ce qu’il faut qu’elle sache. Elle est ma fille, et plus qu’un étranger elle a le droit de connaître mes secrets.
Don Luis. Ah ! vos secrets ! Vous avez des secrets ? Quelque terrible secret, sans doute ? Êtes-vous juif ? Combien d’hommes avez-vous assassinés ?
Mendo. Moi !
Don Luis. Pardon, mon cher ami ; ne vous fâchez pas. Je sais que vous êtes un brave et digne homme, un bon père de famille. Vous exercez une profession que j’honore : ce sont les laboureurs qui nous font vivre, nous autres gentilshommes… Et puis, ne sommes-nous pas tous enfants d’Adam, comme dit Sénèque ?
Mendo. Monseigneur, il est impossible…
Don Luis. Allons ! vous avez mal dormi. Je vous quitte. Je reviendrai bientôt ; mais souvenez-vous que vous m’avez promis de laisser votre fille entièrement libre.
Mendo. Elle prononcera elle-même.
Don Luis. Vous voilà pris. Adieu. (Il fait un mouvement pour s’en aller, et revient.) Ah çà ! pas de menaces ! n’allez pas lui faire peur, à cette pauvre petite… dites-lui… Au reste, je la préviendrai moi-même. Vous êtes à mettre à l’hôpital des fous, pour vos idées. (Il va pour sortir.)
Mendo. Elle n’hésitera pas.
Don Luis. Nous verrons. Adieu, Juan Mendo. Je n’ai jamais vu ton pareil !
Mendo. Monseigneur, je vous baise les pieds 4.
Don Luis revenant. Mendo, ne dites pas : Je vous baise les pieds. Cela est trop servile. Dites comme les anciens : Je vous baise les mains. Cela suffit. — Ah ! dites donc, peut-être qu’il y aurait moyen, Mendo, de vous faire avoir une savonnette à vilain.
Mendo. Ah ! puis-je jamais me laver ?…
Don Luis. Encore ? Je me sauve !
Mendo. Qui jamais l’aurait pu penser ?