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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

de sa voix était peut-être pour quelque chose dans ses succès de conversation. Je n’ai jamais entendu de voix plus naturellement musicale. Quand je l’entendais parler, je me rappelais ces vers de Shakspeare :

« Oh ! It came on my ears like the sweet south
That breathes upon a bank of violets[1]. »

Je ne veux pas oublier ses défauts. La bêtise — la sottise surtout — l’irritait d’une manière étrange. Il ne pouvait la supporter et s’en indignait. Beyle, qui, bien que très-intolérant lui-même en cette matière, gardait toutefois plus de ménagement, lui reprochait d’en vouloir sérieusement à des gens qui avaient le malheur d’être bêtes. « Croyez-vous donc, ajouta-t-il, qu’ils le fassent exprès ? — Je n’en sais rien, » dit Jacquemont d’un ton farouche. Il eût été de l’avis de M. de M…, qui soutenait que le mauvais goût mène au crime.

Je n’ai jamais connu de cœur plus vraiment sensible que celui de Jacquemont. C’était une nature aimante et tendre, mais il apportait autant de soin à cacher ses émotions que d’autres en mettent

  1. « Sa voix arrivait à mon oreille comme le doux vent du midi qui murmure en passant sur un lit de violettes. »