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CERVANTES.

un étudiant tout gris, car il était habillé de gris des pieds à la tête. Il avait des guêtres, des souliers tout ronds, une longue rapière et un rabat sale, attaché par deux bouts de fil. Il est vrai qu’il s’en ressentait, car le rabat lui tombait de côté à tout moment, et il se donnait beaucoup de mal à le rajuster. Arrivé auprès de nous, il s’écria : Si j’en juge au train dont elles trottent, Vos Seigneuries s’en vont, ni plus, ni moins, prendre possession de quelque place ou de quelque prébende à la cour, où sont maintenant Son Éminence de Tolède et Sa Majesté. En vérité, je ne croyais pas que ma bête eût sa pareille pour voyager. Sur quoi répondit un de mes amis : La faute en est au roussin du seigneur Miguel Cervantes, qui allonge le pas. À peine l’étudiant eut-il entendu mon nom, qu’il sauta brusquement à bas de sa monture, jetant d’un côté son coussinet, et de l’autre son porte-manteau, car il voyageait avec tout cet appareil. Puis il m’accrocha et me saisissant le bras gauche, il s’écria : Oui, oui, le voilà bien ce glorieux manchot, ce fameux tout, cet écrivain si gai, ce consolateur des muses ! Moi, qui, en si peu de mots, m’entendais louer si galamment, je crus qu’il y