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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

héros[1]. Mais plusieurs causes contribuèrent à prolonger et à enraciner en Espagne, le goût de ces histoires merveilleuses. Le partage de la péninsule en petites principautés, et surtout cette guerre nationale et religieuse qui durait encore quand le reste de l’Europe avait oublié les idées de croisade, devaient donner lieu à une foule de traditions bientôt dénaturées par l’ignorance, la haine ou le fanatisme. Depuis la mort du roi Rodrigue jusqu’à la guerre des Morisques, les deux peuples rivaux s’étaient disputé chaque pouce de terre, des Pyrénées au détroit de Gibraltar. Il n’existait pas une ville qui ne conservât la mémoire d’un siége, d’un assaut, d’un pillage. Les mères chantaient à leurs enfants les exploits des héros de leurs nations, et les cruautés des chefs ennemis. Ces romances, pendant longtemps, furent toute l’histoire d’Espagne.

La galanterie des Mores, leur culte pour les

  1. Les héros les plus anciens avaient été, pour ainsi dire, communs à tous les peuples de l’Europe. Aussi est-il difficile de découvrir l’origine des chroniques fabuleuses sur Roland, Renaud, Galaor, et tant d’autres. Les Espagnols ont disputé aux Français l’honneur d’avoir composé la première histoire d’Amadis, laquelle a été le type de tous les romans de chevalerie, comme l’Iliade a été le type de tous les poëmes épiques.