Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

s’engageait en quelque sorte à faire à l’auteur un succès dans le monde. Le duc de Béjar avait été supplié de prendre Don Quichotte sous sa protection ; mais il refusa, craignant d’exposer son nom en tête d’un livre de chevalerie, qu’il supposait semblable à ceux qui alors, et depuis longtemps, inondaient l’Espagne. Cervantes lui demanda pour toute faveur de vouloir bien entendre la lecture d’un seul chapitre ; ce qui lui fut accordé d’assez mauvaise grâce ; mais le succès le plus éclatant justifia son attente. Le duc enchanté accepta la dédicace, et combla l’auteur d’éloges.

À cette lecture avait assisté un ecclésiastique qui dirigeait la maison du duc. C’était un homme chagrin et bourru, à qui ces éloges déplurent, comme s’ils étaient donnés à ses dépens. Sans prendre la peine de faire une critique raisonnée de l’ouvrage, il accabla l’auteur d’injures grossières, et le duc de reproches pour l’accueil qu’il lui faisait. Cervantes répondit avec sa modération ordinaire ; mais on dit qu’il profita de cette scène pour peindre au naturel la colère de ce moine dans les chapitres xxxi et xxxii de la seconde partie du Don Quichotte. Cependant il paraît que l’ecclésiastique l’emporta, car Cervantes, le plus reconnaissant de tous les