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IVAN TOURGUÉNEF.

traîner ; il y marche, plein de remords et d’effroi. Il est fasciné. Cette situation est traitée par l’auteur avec une vérité poignante.

À côté de Litvinof, est un autre amant malheureux d’Irène, ce qu’en Italie on appelle un patito. C’est un homme de cœur, plein de bon sens et d’intelligence, mais dompté par la passion, un Alceste édifié sur le compte de Célimène, sans espoir, sans illusion, et si bien maté par elle qu’elle le charge de ses commissions auprès de son rival préféré. Ce caractère, mélange de bonhomie et d’ironie triste, est de l’effet le plus original ; et qu’on ne dise pas que Potoughine a trop d’esprit pour le rôle qu’il joue ; il aime Irène, il n’y a pas d’humiliation qu’il n’accepte pour qu’elle lui permette de vivre auprès d’elle. Il est payé de tout ce qu’il a souffert lorsqu’elle daigne lui montrer qu’elle croit à son aveugle dévouement.

J’ai déjà parlé du talent de M. Tourguénef à donner une individualité aux personnages de son invention. Après avoir lu Fumée, on croit avoir vu Irène et on la reconnaîtrait dans un salon. Si je suis bien informé, l’aristocratie de Saint-Pétersbourg a montré une grande indignation, à l’apparition du roman, et a voulu y trouver un portrait