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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

ges. Le charmant roman de Fumée a une marche rapide et tout à fait conforme au précepte d’Horace. Là les détails heureusement choisis servent au développement des caractères et préparent les situations dramatiques. Pour faire comprendre Irène, il fallait étudier minutieusement et pour ainsi dire ne perdre ni un de ses gestes ni un de ses regards. C’est une de ces créatures diaboliques dont la coquetterie est d’autant plus dangereuse qu’elle est susceptible de passion ; mais chez elle la passion est un feu follet qui s’éteint subitement après avoir allumé un incendie. Elle aime, — Don Juan aussi était toujours amoureux — mais elle aime à sa manière. L’orgueil, le goût de l’aventure, la curiosité, surtout le besoin de dominer et d’exercer son pouvoir, voilà ce qu’elle prend pour de l’amour. Une fort belle personne, qui fit jadis les délices de la scène, un peu bête et très-franche, disait : « Que je suis malheureuse ! Je n’aime pas plutôt quelqu’un que j’en préfère un autre ! » Irène a de l’esprit, elle est grande dame, elle s’indignerait d’être comparée à cette personne, mais la pauvre actrice aimait tout le monde ; au fond, Irène n’aime qu’elle-même. Litvinof, son amant, la connaît bien et n’est pas sa dupe. Il a mesuré le précipice où elle va l’en-