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IVAN TOURGUÉNEF.

guénef regrette la société du temps d’Alexandre Ier ou s’il lui préfère celle d’Alexandre II. Dans son roman de Pères et Enfants, il s’est attiré la colère des jeunes gens et des vieillards ; les uns et les autres se sont prétendus calomniés. Il n’a été qu’impartial, et c’est ce que les partis ne pardonnent guère. J’ajouterai qu’il faut se garder de prendre Bazarof pour le représentant de la jeunesse progressiste, ou Paul Kirsanof comme le parfait modèle de l’ancien régime. Ce sont deux figures que nous avons vues quelque part. Ils existent sans doute, mais ce ne sont pas des personnifications de la jeunesse ni de la vieillesse de ce siècle. Il serait bien à désirer que tous les jeunes gens eussent autant d’esprit que Bazarof, et tous les vieillards des sentiments aussi nobles que Paul Kirsanof.

M. Tourguénef bannit de ses ouvrages les grands crimes, et il ne faut pas y chercher des scènes de tragédie. Il y a peu d’événements dans ses romans. Rien de plus simple que leur fable, rien qui ressemble plus à la vie ordinaire, et c’est là encore une des conséquences de son amour du vrai. Les progrès de la civilisation tendent à faire disparaître la violence de notre société moderne, mais ils n’ont pu changer les passions que recèle le cœur humain.