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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

courtisan qu’un photographe, et n’a aucune de ces faiblesses ordinaires aux romanciers pour les enfants de leur imagination. C’est avec leurs défauts qu’il les produit, voire avec leurs ridicules, laissant à son lecteur la tâche de faire la somme du bien et du mal et de conclure en conséquence. Encore moins cherche-t-il à nous offrir ses personnages comme les types d’une certaine passion ou comme les représentants d’une certaine idée, selon une pratique usitée de tout temps. Avec ses procédés d’analyse si délicats, il ne voit pas de types généraux ; il ne connaît que des individualités. En effet, existe-t-il dans la nature un homme n’ayant qu’une passion, suivant sans biaiser la même idée ? Il serait assurément bien plus redoutable que l’homme d’un seul livre que craignait Térence.

Cette impartialité, cet amour du vrai, qui est le trait éminent du talent de M. Tourguénef, ne l’abandonne jamais. Aujourd’hui, en composant un roman dont les personnages sont nos contemporains, il est difficile de ne pas être amené à traiter quelques-unes de ces grandes questions qui agitent nos sociétés modernes, ou tout au moins à laisser voir son opinion sur les révolutions qui s’opèrent dans les mœurs. Pourtant on ne saurait dire si M. Tour-