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ALEXANDRE POUCHKINE.

à-dire à l’apogée de son talent. Les premiers chants sont une imitation, mais parfaitement russifiée, du Don Juan de lord Byron. Les derniers sont d’un caractère tout différent, et on dirait que le railleur, le sceptique impitoyable, a fait place à une âme tendre et passionnée. Après avoir longtemps cherché dans le cœur humain tous les vices, toutes les bassesses, pour les flageller et les bafouer, il s’aperçoit tout à coup qu’à côté de ces honteuses misères, il y a des traits sublimes. Il devient le poëte du grand et du beau, dès qu’il l’a découvert.

Eugène Oniéghine est un joli garçon de Saint-Pétersbourg, atteint de tous les défauts de sa génération, mais ayant au fond du cœur quelque chose d’élevé et même une certaine dose de philosophie. Après avoir été quelque temps le roi de la mode, il prend en pitié ses faciles succès ; le monde l’ennuie, et, blasé avant trente ans, il va vivre à la campagne, fort mal vu de ses voisins, qu’offense sa supériorité. Il en est un cependant qu’il distingue, c’est le jeune Lenskoï, rapportant d’une université allemande un enthousiasme naïf et des aspirations sublimes. La philosophie de Schoppenhauer n’était pas encore inventée.

Sa naïveté poétique divertit Oniéghine, qui l’aime