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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

et qu’on n’oublie plus : trouver le trait qu’il faut, c’est là le problème à résoudre. Dans un certain château du nord de l’Angleterre, les hôtes qui vont gagner leurs chambres après minuit n’entrent pas plutôt dans un certain corridor, qu’ils entendent les pas de quelqu’un qui les suit, marchant avec des mules. On se retourne. Personne. Ces mules ne sont pas là pour rien ; l’inventeur de l’histoire a bien senti que des bottes ou des souliers ne feraient pas le même effet. Tout gros mensonge a besoin d’un détail bien circonstancié, moyennant quoi il passe. C’est pourquoi notre maître Rabelais a laissé ce beau précepte : « qu’il faut mentir par nombre impair. » Si le choix du détail est malheureux, il n’y a plus d’illusion. Un matelot racontait qu’il avait vu le fantôme de son capitaine, tué quelques jours auparavant : « Il sortait de la grande écoutille avec son chapeau à trois cornes… — Conte cela aux soldats, dit un de ses camarades. On voit bien souvent des fantômes, mais jamais en chapeaux à trois cornes. »

Le Prisonnier du Caucase, qui suivit d’assez près Rousslan et Lioudmila, marque un changement assez notable dans la manière de Pouchkine. Il abandonne les héros de l’antiquité et cherche ses sujets