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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

semblance qui se retrouve également dans leurs caractères. Pleins d’une misanthropie dédaigneuse, de dégoût pour les conventions de la société, ils sont tous les deux un peu enclins à l’exagération ; ils recherchent l’étrange, ils prennent pour beau ce qui est excessif ou terrible. Leur gaieté est bruyante, un peu forcée, presque farouche, comme celle d’un prophète de malheurs qui voit ses prédictions s’accomplir.

On sait leurs griefs contre la société où ils étaient nés. Lord Byron détestait le cant, ou l’hypocrisie des salons, et la prenait au tragique. Pouchkine rêvait, dit-on, une liberté à laquelle son pays n’était pas encore préparé. Or, ces salons qui appelaient Byron un être immoral et satanique, ont caressé toutes ses vanités par leurs fureurs comme par leurs admirations ; Pouchkine, ennemi du despotisme, trouva dans l’empereur Nicolas un censeur de ses poésies aussi bienveillant que Mécène eût pu l’être pour Horace[1]. Craints et gâtés par

  1. Il s’était plaint de la censure, et l’empereur se chargea de lire et d’autoriser ses ouvrages. Un de mes amis possède le manuscrit du drame de Boris Godounof, annoté au crayon par l’empereur, qui s’est borné à quelques critiques littéraires, la plupart fort justes.