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CHARLES LENORMANT.

émotion cette terre sacrée où tant de grands souvenirs s’accumulent dans de si étroits espaces. À chaque instant on a conscience qu’on foule la trace d’un héros. La tribune aux harangues, taillée dans le roc vif, n’a que quelques pieds carrés : c’est là que parlait Démosthènes. La route fourchue, où Œdipe rencontra Laïus, laisse à peine passer deux chevaux de front ; la colline ou plutôt le rocher où les derniers des trois cents Spartiates moururent sur le cadavre de Léonidas, n’a pas changé d’aspect depuis qu’Hérodote l’a décrit. Quel historien que cet Hérodote pour l’exactitude de ses tableaux ! En parcourant les Thermopyles, nous faisions craquer sous nos pieds les feuilles tombées des chênes verts : c’est à ce bruit, dit-il, que les Grecs reconnurent l’approche des Immortels de Xercès qui tournèrent le défilé. Ce défilé faillit être fatal à M. Lenormant. Il fit une chute de cheval et se démit l’épaule. Je n’ai jamais vu malade plus résigné, plus calme ; une seule chose le préoccupait, l’impossibilité de courir les montagnes.

Il aimait la Grèce et les Grecs. Lorsque nos agoyates nous volaient, il nous rappelait que les muletiers de tous les pays se ressemblent, et que nos Grecs risquaient de se casser le cou vingt fois