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BRANTHÔME.

non tous aussi bien disants sans doute, mais qui joignaient la pratique à la théorie : petits tyrans ayant leurs sicaires à gages, cultivant la chimie pour fabriquer des poisons ; d’ailleurs gens d’esprit, amis des arts et des lettres, les encourageant, et tenant leurs petites cours avec une grâce et une magnificence qui charmaient. Tels étaient les princes et les seigneurs italiens auxquels nos Français eurent affaire ; et comme nous pardonnons tout à l’esprit, nous nous primes d’admiration pour ces monstres aux formes séduisantes : témoin le bon Chevalier sans peur et sans reproche, qui fit choix pour dame de ses pensées d’une personne accomplie, c’est à savoir, madame la duchesse de Ferrare, Lucrèce Borgia ; il porta toujours ses couleurs, gris et noir, et l’aima chevaleresquement et platoniquement. Tous les chevaliers français n’étaient pas des héros naïfs comme Bayard, et beaucoup rapportèrent dans leur pays d’autres souvenirs qu’un amour platonique. Il leur arriva ce qui arrive aujourd’hui aux sauvages limitrophes des Européens : ils prirent des vices inconnus, croyant se civiliser.

Le contact avec les Italiens n’altéra pas moins sensiblement la foi de nos pères, simple et irréflé-