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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

pinion que de la vie ; on se battait pour se venger ou se défaire d’un ennemi.

Cette sauvagerie développait à un haut degré l’énergie individuelle ; elle formait des amitiés solides, mais elle ôtait à l’opinion tout son pouvoir. La société se divisait en petits groupes bien unis, chacun autour d’un protecteur. Patrons et clients, sentant le besoin qu’ils avaient les uns des autres, ne connaissaient guère d’autres crimes que ceux qui pouvaient nuire à leur association. C’était alors comme une trahison que d’abandonner un ami coupable, et presque un devoir de l’aider dans ses entreprises les plus criminelles. Nous ne parlons pas de ces duels où l’on entraînait, comme à une fête, des seconds ou des tiers qui s’égorgeaient bravement sans avoir rien à démêler dans la querelle. Il n’y avait pas, au temps de Branthôme, un gentilhomme assez abandonné pour ne pas trouver au besoin un camarade ou deux lorsqu’il s’agissait d’attendre un homme au coin d’une rue pour lui casser la tête. Le monde des indifférents n’y trouvait rien à gloser ; tout au plus un regret pour le mort ; parfois un éloge pour la hardiesse des meurtriers, s’ils s’étaient attaqués à quelque brave reconnu.