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CERVANTES.

ges ; mais, du reste, je ne sais si nous devons les regretter.

Cervantes avait beaucoup vu le monde : son Don Quichotte prouve qu’il connaissait les hommes et qu’il savait faire parler chacun de ses personnages suivant son caractère. Il est donc surprenant qu’avec des qualités si rares, il soit resté, dans ses comédies, si fort au-dessous de lui-même.

Parmi d’autres causes, une surtout a dû influer sur ses compositions en ce genre ; c’est l’obligation d’écrire en vers. Il est vrai que de son temps, il n’existait pas de comédies en prose[1], et que, très-faciles à faire, les vers espagnols avaient été généralement adoptés pour le drame. Mais quand on s’efforce, comme sur la scène espagnole, de reproduire les événements de la vie réelle, de peindre les hommes tels qu’ils sont, et sans une certaine noblesse convenue, il ne faut pas que leur langage fasse un contraste perpétuel avec leurs actions. Or, en tous pays, les vers sont ennemis du naturel, surtout les vers espagnols qui ont besoin de beaucoup de pompe pour ne pas paraître plats. De là

  1. Un des ennemis de Cervantes crut lui faire une critique bien sanglante en lui reprochant que ses Nouvelles étaient des comédies en prose.