Page:Mérimée - Portraits historiques et littéraires (1874).djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
FROISSART.

Il y a quelques jours, l’illustre secrétaire de l’Académie française caractérisait d’un mot le génie de Froissart, en le nommant l’Hérodote du moyen âge. Moins heureux qu’Hérodote, Froissart n’eut pas à raconter le triomphe de la civilisation sur la barbarie. De son temps, la barbarie couvrait toute l’Europe de ténèbres, d’où s’échappaient à peine quelques lueurs brillantes que jetaient la poésie et l’esprit chevaleresque. Souvent on ferme les Chroniques l’esprit attristé, le cœur serré, au spectacle de ces guerres cruelles, de ce désordre, de cette anarchie générale. Toutes les nations ont leurs jours d’épreuve. Qui aurait pu prévoir alors la glorieuse transformation de notre patrie ? Notre France, si florissante aujourd’hui, dont toutes les provinces sont si étroitement unies sous les mêmes lois, c’est pourtant le pays que Froissart a vu divisé en petites souverainetés rivales, déchiré par les factions, ravagé par les armes étrangères. Sur ce trône où il laissait en mourant un prince imbécile et une reine adultère, nous voyons le plus sage politique, qui, sans conquêtes, a replacé la France au premier rang des nations, une princesse qui nous représente la vertu parée de toutes les grâces. Ces deux peuples, enfin, dont Froissart