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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

grands de la terre, il n’a garde de rechercher les mobiles secrets de leur conduite ; mais tout ce qu’il a vu, tout ce qu’il a su, il l’enregistre avec une imperturbable simplicité, terrible aussi pour les méchants.

Froissart nous apprend lui-même comment il composa son histoire. Il interrogeait sans cesse les hommes éminents, guerriers ou politiques, et se faisait raconter par eux les événements où ils avaient eu part. Il entreprit de longs et pénibles voyages pour se livrer à ces recherches, qu’il appelle des enquestes, sachant que son devoir d’historien ressemble à celui du magistrat chargé de rendre la justice. À cet amour si noble de la vérité, il joint un art d’autant plus admirable qu’il s’ignore lui-même, celui de saisir, avec un tact sûr, au milieu des récits qu’il écoute de toutes parts, ces détails frappants de naturel, qui ne s’inventent point, et qu’il faut recueillir de la bouche même des hommes d’action. Sans avoir porté les armes, sans avoir eu place aux conseils des princes, le clerc de Valenciennes parle de guerre et de politique avec le langage technique et l’accent passionné des capitaines et des hommes d’État qui lui racontaient leurs triomphes ou leurs revers.