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FROISSART.

langage tous les siècles, et plus souvent encore. Est-il surprenant que nous, qui comprenons à peine les Précieuses du xviie siècle, nous soyons peu sensibles aux traits galants du xive ? Une étude approfondie des poésies de Froissart y découvrirait sans doute des vers pleins de grâce, de pensées fines, et aussi, je le crois, un art déjà raffiné du rhythme et de l’harmonie. Mais pourquoi ajouter un nouveau fleuron à une couronne si brillante ? Pétrarque n’a pas besoin de ses œuvres latines pour être immortel, et les Chroniques seules assureront à leur auteur une place parmi les poëtes.

Quel autre qu’un poëte, en effet, aurait pu tracer un tableau si animé des mœurs et des passions du moyen âge ? Ne fut-il pas inspiré des Muses celui qui sut ennoblir la vérité sans l’altérer jamais, et donner un air de grandeur à tous les sujets qu’il a touchés ? Observateur exact, sans prétendre à la profondeur, et trop modeste pour s’ériger en juge des actions humaines, Froissart en est le témoin attentif et scrupuleux, ignorant d’ailleurs par le hasard de sa naissance les préoccupations d’un patriotisme exclusif qui égare souvent les meilleurs esprits. Plein de respect pour les