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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

pour perpétuer le souvenir de son nom ; mais une ville s’honore en exposant à la vénération publique les images de ses citoyens illustres. L’éclat de la récompense leur suscitera des émules. Les génies méconnus (s’il en existe encore) se consoleront par cette justice qu’obtient, après plus de quatre siècles, un poëte ingénieux, un chroniqueur incomparable.

Froissart fut poëte. Les érudits le savent et ses contemporains ont peut-être fait plus de cas de ses vers que de ses écrits historiques. Lui-même avait pour ses poésies une prédilection bien naturelle, car elles semblent lui rappeler les plus doux souvenirs de sa jeunesse. Lorsque, déjà vieux, il vint à la cour d’Angleterre, ce fut le volume de ses poésies qu’il offrit au roi Richard II. « Plaire bien lui debvait, » nous dit-il avec une modestie charmante, « car il était enluminé, escript, historié et couvert de velours à clous d’argent. » — « De quoi traite ce livre ? » lui demanda le prince. — « D’amours, » répondit Froissart. Les amours — (et par ce mot, qui commence à s’effacer de notre langue moderne, il faut entendre le semblant aimable d’une passion forte, un désir de plaire, bien plus que le besoin de toucher), — les amours changent de