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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

Remarquons en passant que la critique de M. Leclercq, pour vive qu’elle soit, ne va jamais jusqu’à l’injure, encore moins à la calomnie. Ses traits sont aigus, mais non pas empoisonnés. Il sait railler, mais il ne sait pas haïr. On commence à savoir ce que c’est que la haine en France. La politique nous a fait ce présent, et elle a tué chez nous la gaieté.

La gaieté est, à mon avis, le caractère distinctif du talent de M. Leclercq ; elle éclate dans tous ses tableaux, même dans ceux où il avait à reproduire les plus tristes défauts de notre temps. Courier a dit de notre grande nation, que nous ne sommes pas un peuple d’esclaves, mais un peuple de valets. Dans l’Esprit de servitude, M. Leclercq a repris avec moins d’amertume ce vice du Français, tantôt courtisan de Louis XIV, tantôt flatteur du peuple souverain. Ce vieux valet de chambre, devenu un bon bourgeois dans l’aisance, et qui regrette son esclavage chez M. le marquis, donne une leçon tout aussi utile et infiniment plus amusante que ne pourrait faire un ministre disgracié ou un tribun oublié de la multitude.

Ce n’est pas seulement dans la peinture des défauts et des ridicules que M. Leclercq a montré son talent d’observation ; l’Honnête homme, comme