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HENRI BEYLE (STENDHAL).

sence d’un ennuyeux ou d’un esprit malveillant le glaçait et le mettait promptement en fuite. Jamais il n’eut l’art de savoir s’ennuyer. Il disait que la vie est courte et que le temps perdu à bâiller ne se retrouve plus. Il admirait beaucoup ce mot de M. de M… « que le mauvais goût mène au crime. »

La bonne foi était un des traits du caractère de Beyle. Personne n’était plus loyal ni d’un commerce plus sûr. Je n’ai jamais connu d’homme de lettres plus franc dans ses critiques ni qui reçût plus galamment celles de ses amis. Il aimait à communiquer ses manuscrits et demandait qu’on les annotât sévèrement. Quelque dures, quelque injustes même que fussent les observations, jamais il ne s’en fâchait. Une de ses maximes était que quiconque fait le métier de mettre du noir sur du blanc ne doit ni s’étonner ni s’offenser lorsqu’on lui dit qu’il est une bête. Cette maxime, il la pratiquait à la lettre, et, de sa part, ce n’était pas indifférence réelle ni affectée. Les critiques le préoccupaient beaucoup ; il les discutait vivement, mais sans aigreur, et comme s’il se fût agi des ouvrages d’un auteur mort depuis plusieurs siècles.

Il avait pris l’habitude bizarre de s’entourer de mystère dans les actions les plus indifférentes, afin