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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

lui dit : « Vous avez fait votre barbe, monsieur ? Vous êtes un homme de cœur. »

M. Bergonié, auditeur au conseil d’État et attaché au quartier général, m’a raconté qu’il devait la vie à Beyle, qui, prévoyant l’encombrement des ponts au passage de la Bérésina, l’obligea de passer sur l’autre rive le soir qui précéda la déroute. Il fallut presque employer la force pour décider M. Bergonié à faire quelques centaines de pas. Il faisait le plus grand éloge du sang-froid de Beyle et du bon sens qui ne l’abandonna jamais au moment où les plus résolus perdaient la tête. Beyle était homme de ressources dans les circonstances graves ; il disait modestement qu’il devait cet avantage à sa provision de maximes toutes faites, au moyen desquelles il se trouvait prêt pour agir lorsque les autres perdaient leur temps à délibérer.

De même que beaucoup de gens de son âge, Beyle me paraissait juger ses contemporains avec beaucoup de sévérité, et notre génération avec un peu d’indulgence. Il admirait le goût pour l’étude et la curiosité de connaître le fond des choses qui distinguaient les jeunes gens de vingt ans, lorsqu’il en avait quarante. Il se moquait un peu de notre gravité et de notre pédanterie, mais disait que nous