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PORTRAITS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES.

manière les émotions qu’il a ressenties devant leurs ouvrages ; il décrit l’effet, dans l’impuissance d’en expliquer la cause. Probablement, s’il avait essayé d’écrire à différentes reprises ses impressions devant un même tableau, il aurait été surpris lui-même de leur variété. Comme tous les critiques, Beyle luttait contre une difficulté probablement insoluble. Notre langue, ni aucune autre que je sache, ne peut décrire avec exactitude les qualités d’une œuvre d’art. Elle est assez riche pour distinguer les couleurs ; mais, entre deux nuances qui ont un nom, combien y en a-t-il, appréciables aux yeux, qu’il est absolument impossible de déterminer par des mots ! La pauvreté des langues devient encore bien plus sensible lorsqu’il s’agit de formes, non plus de couleurs. Un œil médiocrement exercé reconnaît facilement un contour vicieux. Quiconque examine la statuette de la Vénus de Milo réduite par le procédé Collas, reconnaît aussitôt que le nez n’est point antique. Pourtant la différence entre ce nez rapporté et le nez du statuaire grec ne peut consister qu’en une fraction de millimètre : or quels mots pourront caractériser cette forme, dont la beauté dépend d’une fraction de millimètre en plus ou en moins ? Ce qui se sent avec tant de faci-