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HENRI BEYLE (STENDHAL).

lui arrivait d’estropier des vers français en les citant. Bien qu’il parlât l’italien purement et facilement, et qu’il sût assez bien l’anglais, il ne connaissait ni le mètre ni l’accentuation des vers anglais et italiens. Cependant il était sensible à certaines beautés de Shakspeare et du Dante, qui sont intimement unies à la forme du vers. Il a dit son dernier mot sur la poésie dans son livre de l’Amour : « Les vers furent inventés pour aider la mémoire ; les conserver dans l’art dramatique, reste de barbarie. » Racine lui déplaisait souverainement. Le grand reproche que nous adressions à Racine, vers 1820, c’est qu’il manque absolument aux mœurs ou à ce que, dans notre jargon romantique, nous appelions alors la couleur locale. Shakspeare, que nous opposions toujours à Racine, a fait, en ce genre, des fautes cent fois plus grossières, que nous nous gardions bien de citer. « Mais, disait Beyle, Shakspeare a mieux connu le cœur humain. Il n’y a pas une passion, pas un sentiment qu’il n’ait peint avec une admirable vérité, avec ses nuances. La vie et l’individualité inimitable de tous ses personnages le mettent au-dessus de tous les auteurs dramatiques. — Et Molière, lui répondait-on, quelle place lui donnerez-vous ? — Molière est un