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HENRI BEYLE (STENDHAL).

éviter que Beyle ne se rencontrât avec un rival, ou, pour mieux dire, avec des rivaux, car il y en avait plusieurs, et la femme de chambre offrit d’en donner la preuve. Beyle accepta. Il vint à la ville un jour qu’il n’était pas attendu, et, caché par la femme de chambre dans un petit cabinet noir, il vit, des yeux de la tête, par un trou ménagé dans la cloison, la trahison qu’on lui faisait à trois pieds de sa cachette.

« Vous croirez peut-être, ajoutait Beyle, que je sortis du cabinet pour les poignarder ? Nullement. Il me sembla que j’assistais à la scène la plus bouffonne, et mon unique préoccupation fut de ne pas éclater de rire pour ne pas gâter le mystère. Je sortis de mon cabinet noir aussi discrètement que j’y étais entré, ne pensant qu’au ridicule de l’aventure, en riant tout seul ; au demeurant plein de mépris pour la dame, et fort aise, après tout, d’avoir ainsi recouvré ma liberté. J’allai prendre une glace, et je rencontrai des gens de ma connaissance qui furent frappés de mon air gai, accompagné de quelque distraction ; ils me dirent que j’avais l’air d’un homme qui vient d’avoir une bonne fortune. Tout en causant avec eux et prenant ma glace, il me venait des envies de rire irrésistibles, et les ma-