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HENRI BEYLE (STENDHAL).

Alceste est parfaitement naturel et de bonne foi lorsque, pressé d’exprimer quelques regrets d’avoir été si rigoureux pour les vers d’Oronte, il s’écrie « qu’un homme est pendable après les avoir faits. » Les boutades de Beyle n’étaient, à mon avis, que l’expression exagérée d’une conviction profonde.

Je n’ai jamais su d’où lui venaient ses opinions sur un sujet où il avait le malheur de se trouver en opposition avec presque tout le monde. Ce que j’ai appris de sa première éducation se réduit à ce seul fait : que, fort jeune, il avait été confié aux soins d’un ecclésiastique vieux et morose, dont la discipline lui avait laissé une rancune qui ne s’effaça jamais. À la vérité, l’esprit de Beyle se révoltait contre toute contrainte et même contre toute autorité. On pouvait le séduire, et la chose était facile pourvu qu’on l’amusât ; mais lui imposer une opinion était impossible, car quiconque prenait dans ses rapports avec lui l’apparence d’une supériorité le blessait au vif. Il racontait avec amertume, après quarante ans, qu’un jour, ayant déchiré en jouant un habit neuf, l’abbé chargé de son éducation le réprimanda vertement pour ce méfait devant ses camarades, et lui dit « qu’il était une honte pour la religion et pour sa famille. »