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CHARLES NODIER.

les cultiver. Il lui prêtait des livres, il satisfaisait son inquiète curiosité, et dans de longues promenades, il développait chez l’enfant le talent inné de l’observation, en lui inspirant un goût précoce pour l’étude de l’histoire naturelle. M. Nodier a fait, dans Séraphine, un portrait délicieux de ce sage qu’il chérit toute sa vie ; portrait d’une ressemblance achevée, et le seul, m’a-t-on dit, qu’il n’ait pu embellir.

Il lui dut une de ces actions dont le souvenir console de bien des malheurs. J’ai déjà dit que M. Nodier père était, en 1792, président du tribunal criminel de Besançon. On sait trop quelles étaient les déplorables fonctions de juge à cette époque. Il fallait se faire l’esclave d’une multitude en délire, ou se condamner à une perte certaine. Tristes temps, où l’honnêteté a besoin de se grandir jusqu’à l’héroïsme, où la faiblesse peut se précipiter au crime. Le président gémissait, mais appliquait les lois. Hélas ! dans les discordes civiles, on nomme ainsi les caprices du vainqueur. On venait d’ôter aux émigrés leurs biens, leur patrie, on voulait encore qu’ils n’eussent plus de famille. Correspondre avec un émigré, fût-ce un père, un fils, un époux, était un fait de haute trahison, un crime