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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

Le Gouverneur.

Les mots n’y font rien. — Mais savez-vous bien que ce haut fonctionnaire, à qui vous avez porté vos plaintes se marie avec ma fille ? Hein ? qu’avez-vous à dire à cela ?… Maintenant, si je vous… Vous volez le monde. Toi, tu fais une soumission au gouvernement, tu nous passes un compte d’apothicaire de cent mille roubles, et tu livres du drap pourri, et parce que tu fais le sacrifice d’une douzaine d’archines, tu crois qu’il faut qu’on t’en remercie encore ? Et si l’on savait comme tu… Mais il a du foin dans ses bottes : c’est un marchand, on ne peut pas le toucher. Un marchand, dis-tu, vaut bien un gentilhomme… Un gentilhomme !… ah ! vilain singe, sais-tu ce que c’est qu’un gentilhomme ? Un gentilhomme est éduqué. C’est vrai qu’on lui donne le fouet au collège, et c’est bien fait pour qu’il apprenne ce qu’il faut apprendre ; tandis que toi… ce qu’on t’apprend d’abord c’est à larronner. Ton maître te rosse pour t’instruire à flouer les chalands. Quand tu es apprenti et que tu ne sais pas encore ton pater, tu sais déjà donner le coup de pouce à la balance. Et puis quand tu t’es arrondi, que ta poche est bien bourrée, tu fais le gros et le fier. Voilà un beau venez-y-voir ! — Et toi, parce que tu soudes seize bouilloires par jour, tu fais le gros et l’important ? Ah ! je vais te cracher sur ta tête et sur ton importance I

Les Marchands, à genoux.

Grâce ! Anton Antonovitch ! nous sommes coupables !

Le Gouverneur.

Tu fais des placets toi ? Et qui donc t’a donné un coup d’épaule pour faire ton beurre, lorsque tu as bâti ce pont et que tu nous as fait un compte de vingt mille roubles de bois tandis qu’il n’y en avait pas pour cent roubles ? C’est moi qui t’ai tendu la perche, barbe de