Page:Mérimée - Les deux héritages, suivi de L'inspecteur général, 1892.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
L’INSPECTEUR GÉNÉRAL.

Ah ! c’est toi, Ivan Karpovitch. Va me chercher messieurs les marchands, mon camarade. Ah ! je leur apprendrai, à cette canaille-là, à se plaindre de moi. A-t-on jamais vu de mauvais Juifs comme cela ! C’est bon, c’est bon, mes agneaux, je vous ai fait manger des crapauds jusqu’à présent, mais aujourd’hui, parbleu ! vous avalerez des couleuvres. Ah ! je tiens bonne note de tous ces plaignants, surtout des écrivains, des écrivains rédacteurs de placets dont ils ont été l’entourer. Apprends-leur à tous, qu’ils n’en ignorent pas, l’honneur que le bon Dieu envoie à leur gouverneur. Il va donner sa fille, non pas au premier venu, mais à quelqu’un qui n’a pas son pareil au monde et qui peut faire tout, tout, tout, tout ! Dis-leur bien à tous pour qu’ils le sachent. Crie-le à tout le peuple ; sonne la cloche : le diable m’emporte, c’est mon jour de triomphe, et je triomphe. (Le sergent de ville sort.) Eh bien ! Eh bien ! Anna Andreïevna ! comment sommes-nous à présent ? Où allons-nous vivre, ici ou bien à Piter ?

Anna.

À Pétersbourg, cela va sans dire ? Le moyen de rester ici ?

Le Gouverneur.

Va pour Piter, puisque Piter il y a. On est bien ici, cependant. Quoi donc ? quand j’y pense, faut-il envoyer mon gouvernement au diable, hein, Anna Andreïevna ?

Anna.

Cela va sans dire. La belle chose qu’un gouvernement !

Le Gouverneur.

Dis donc, Anna Andreïevna, maintenant je puis bien attraper un meilleur grade. Il est à tu et à toi avec tous les ministres, et il va à la cour. Il me fera avoir de l’avancement, et avec le temps, je puis bien accrocher les épaulettes de général. Qu’en penses-tu, Anna