Page:Mérimée - Les deux héritages, suivi de L'inspecteur général, 1892.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

Khlestakof.

Qu’a-t-il fait ?

Première Femme.

Il a fait tondre mon mari au front pour en faire un soldat, et ce n’était pas notre tour ; quel gredin ça fait ! et la loi le défend, puisqu’il est marié.

Khlestakof.

Comment cela s’est-il pu faire ?

Première Femme.

Il l’a fait, le gredin ! il l’a fait. Que le bon Dieu le frappe dans ce monde et dans l’autre ! S’il a une tante, que sa tante attrape toutes les misères de la création ! et que son père, s’il vit, la canaille ! qu’il crève, ou qu’il meure asthmatique, le gredin qu’il est ! C’était le tour au fils du tailleur, avec cela que c’était un pochard ; mais les parents, qui sont riches, ont donné un cadeau, de sorte qu’on est venu pour prendre le fils de la Panteleïef, la marchande ; alors la Panteleïef a porté à madame son épouse trois pièces de toile ; là-dessus on tombe sur moi. — « Qu’est-ce que cela te fait, qu’il me dit, qu’on te prenne ton mari ? il ne te sert à rien. — Eh bien, je le sais, mais qu’il me serve ou ne me serve pas, c’est mon affaire, à moi. Le gredin qu’il est ! — C’est un voleur, qu’il dit ; s’il n’a pas encore volé, il volera, c’est égal. » — Donc l’année suivante on l’empoigne pour conscrit ; et moi, je resterai donc sans mari ? Le gredin qu’il est ! Ah ! je voudrais que toute ta lignée fût privée de voir le jour du bon Dieu, et si tu as une grand’mère, que ta grand’mère…

Khlestakof.

C’est bon, c’est bon. — (À l’autre femme.) Et toi ?

Première Femme.

Ne m’oublie pas, mon père ! sois miséricordieux.

(Elle sort.)