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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL.

les assistants.) Faites-moi la grâce, Messieurs, quand vous serez à Pétersbourg de venir me voir. J’y donne aussi des bals.

Anna.

Je pense que les bals que l’on donne là doivent être d’un goût et d’une recherche merveilleuse.

Khlestakof.

Très-simples, cela ne vaut pas la peine d’en parler. On met sur la table, par exemple, un melon d’eau, — oui, un melon d’eau de six cents roubles. La soupe dans la soupière m’arrive par la vapeur, droit de Paris. On ôte le couvercle… un parfum comme il n’y a rien de pareil au monde. Je vais tous les jours au bal. Nous avons aussi notre whist, le ministre des affaires étrangères, l’ambassadeur de France, l’ambassadeur d’Allemagne et moi. Ah ! c’est là qu’on s’extermine, on n’a jamais rien vu de semblable. Quand on rentre chez soi, et qu’il faut monter à son quatrième étage, on n’a que la force de dire à sa bonne : Ha ! Mavrouchka, ma robe de chambre… Qu’est-ce que je dis donc ? J’oubliais que je demeure au premier… J’ai chez moi un escalier… Je vous assure que c’est amusant de regarder dans mon antichambre quand je ne suis pas encore éveillé. Des comtes, des princes sont là qui jasent, qui bourdonnent comme des mouches à miel ; on n’entend que j. j. j… Une fois le ministre… (Le gouverneur et les employés se lèvent tout émus à ce mot.) Sur les adresses on me met : À Son Excellence… Une fois, c’est moi qui ai fait aller la direction. C’est une drôle d’histoire. Le directeur était parti ; où était-il allé ? on ne savait pas. Naturellement on se met à causer. Qu’est-ce qui va le remplacer ? Il y avait là bien des généraux qui ne demandaient pas mieux. Les voilà qui essaient, mais, diable, non ! ce n’est pas aisé. On se figure que ce n’est rien, mais quand on y regarde de près… Le diable