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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

ainsi, et les voltairiens ont beau dire, ils n’y peuvent rien. Chacun a ses péchés.

Le Juge.

Qu’appelez-vous péchés, Anton Antonovitch ? Il y a péchés et péchés. Moi, je ne m’en cache pas, je me laisse faire des cadeaux ; mais quels cadeaux ? des cadeaux de chiens courants. La belle affaire !

Le Gouverneur.

De chiens ou d’autre chose, ce sont toujours des cadeaux.

Le Juge.

Allons donc, Anton Antonovitch… Ah ! je ne dis pas, par exemple, que si quelqu’un se laissait donner une pelisse de cinq cents roubles, et un châle à sa femme, alors…

Le Gouverneur, en colère.

C’est bon ! Savez-vous pourquoi vous prenez des cadeaux de chiens ? c’est parce que vous ne croyez pas en Dieu. Vous n’allez jamais à l’église ; tandis que moi, au moins, j’ai de la religion. Tous les dimanches je vais à la messe. Mais vous… Allez, je vous connais. Quand vous vous mettez à parler de la façon dont le monde s’est fait, les cheveux m’en dressent sur la tête.

Le Juge.

Que voulez-vous ? chacun a ses opinions.

Le Gouverneur.

À la bonne heure ; moi je dis que quand on a trop d’esprit, c’est pis que si l’on n’en avait pas. Au reste, moi, je ne vous parle que du tribunal du district ; et pour dire la vérité, personne ne s’avise d’y mettre le nez. C’est un lieu privilégié, et Dieu lui-même l’a sous sa protection. (Au recteur.) Mais vous, Louka Loukitch, en votre qualité de recteur de l’Académie, vous avez vos professeurs à surveiller. Je sais que ce sont des