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la permission de danser à sa noce. — Elle n’eut garde de refuser ou de lui faire mauvaise mine. Jose Maria prit aussitôt un tabouret de liège, l’approcha de la table, et s’assit sans façon à côté de la mariée, entre elle et le notaire, qui paraissait à tout moment sur le point de s’évanouir.

On commença à manger. Jose Maria était rempli d’attentions et de petits soins pour sa voisine. Lorsqu’on servit du vin d’extra, la mariée, prenant un verre de Montilla (qui vaut mieux que le Xerez, selon moi), le toucha de ses lèvres, et le présenta ensuite au bandit. C’est une politesse que l’on fait à table aux personnes que l’on estime. Cela s’appelle una fineza. Malheureusement cet usage se perd dans la bonne compagnie, aussi empressée ici qu’ailleurs de se dépouiller de toutes les coutumes nationales.

Jose Maria prit le verre, remercia avec effusion, et déclara à la mariée qu’il la priait de le tenir pour son serviteur, et qu’il ferait avec joie tout ce qu’elle voudrait bien lui commander.

Alors celle-ci, toute tremblante et se penchant timidement à l’oreille de son terrible voisin : « Accordez-moi une grâce, » dit-elle. — « Mille ! » s’écria Jose Maria.

— « Oubliez, je vous en conjure, les mauvais vouloirs que vous avez peut-être apportés ici. Promettez-moi que pour l’amour de moi vous pardonnerez à vos ennemis, et qu’il n’y aura pas de scandale à ma noce.

— « Notaire ! » dit Jose Maria se tournant vers l’homme de loi tremblant, « remerciez madame ; sans elle, je vous aurais tué avant que vous eussiez digéré votre dîner. N’avez plus peur, je ne vous ferai plus de mal. » Et, lui versant un verre de vin, il ajouta avec un sourire un peu méchant : « Allons, notaire, à ma santé : ce vin est bon, il n’est pas empoisonné. » Le malheureux notaire croyait avaler un cent d’épingles. « Allons, enfants ! » s’écria le voleur, de la gaîté ! (vaya de broma) vive la mariée ! »