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dans un cachot étroit et étouffant. Son expression était étrange : ce n’était point de la peur, mais de l’inquiétude. Il paraissait résigné. Point de morgue ni d’affectation de courage. Je me dis qu’en pareille occasion je voudrais faire une aussi bonne contenance.

Son confesseur lui dit de se mettre à genoux devant le crucifix ; il obéit et baisa les pieds de cette hideuse image. En ce moment tous les assistants étaient émus et gardaient un profond silence. Le confesseur, s’en apercevant, leva les mains pour les dégager de ses longues manches qui l’auraient gêné dans ses mouvements oratoires, et commença à débiter un discours, qui lui avait probablement servi plus d’une fois, d’une voix forte et accentuée, mais pourtant monotone par la répétition périodique des mêmes intonations. Il prononçait chaque mot clairement ; son accent était pur, et il s’exprimait en bon castillan, que le condamné n’entendait peut-être que très-imparfaitement. Il commençait chaque phrase d’un ton de voix glapissant, et s’élevait au fausset, mais il finissait sur un ton grave et bas.

En substance, il disait au condamné, qu’il appelait son frère : « Vous avez bien mérité la mort ; on a même été indulgent pour vous en ne vous condamnant qu’à la potence, car vos crimes sont énormes. » Ici il dit un mot des meurtres commis, mais il s’étendit longuement sur l’irréligion dans laquelle le pénitent avait passé sa jeunesse, et qui seule l’avait poussé à sa perte. Puis, s’animant par degrés : « Mais qu’est-ce que le supplice justement mérité que vous allez endurer, comparé avec les souffrances inouïes que votre divin Sauveur a endurées pour vous ? Regardez ce sang, ces plaies, etc. » Détail très-long de toutes les douleurs de la Passion, décrites avec toute l’exagération que comporte la langue espagnole, et commentées au moyen de la vilaine statue dont je vous ai parlé. La péroraison valait mieux que l’exorde. Il disait,