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qu’il revienne. Avec ces nouvelles lois, on ne peut envoyer aux galères ces misérables braconniers qui ne nous laissent pas un perdreau à tirer, passé le 1er octobre.

La comtesse. Rappelez-vous les glorieux privilèges dont jouissaient vos ancêtres. N’est-ce pas une chose qui crie vengeance que le comte des Tournelles ne soit pas le gouverneur de sa province, lui dont les aïeux entretenaient des hommes d’armes et se faisaient payer un droit de chaque personne qui passait ce vilain petit pont à une lieue d’ici ?

Le comte. J’ai des parchemins qui le prouvent.

La comtesse. Enfin, n’est-ce pas une horreur que vous, monsieur des Tournelles… dans un moment de désespoir… ayant demandé une place de chambellan à l’usurpateur, vous n’ayez pu l’obtenir ? Cet outrage ne doit-il point vous faire passer par-dessus toutes les considérations que peut vous suggérer la prudence ?

Le comte. Je m’étais oublié un moment… il est vrai… cet homme éblouit… Mais n’allez pas au moins parler de cette demande à ces messieurs.

La comtesse. Soyez tranquille ! je ne vous en parle que pour vous faire voir à quel point le désordre est venu, et pour vous prouver que le moment est arrivé où tous les Français doivent secouer un joug humiliant.

Le comte. Vous avez raison. Tous les Français devraient s’entendre pour secouer le joug. Morbleu ! si tous les Français se levaient en masse contre l’usurpateur, je ne serais pas un des derniers à marcher. — Mais, diable ! nous ne sommes que cinq ou six à conspirer contre un homme tout-puissant. — Notre entreprise est hasardeuse. Toute la nuit j’y ai pensé sans pouvoir fermer l’œil un instant. Il est vrai que je venais de relire les Conjurations de Saint-Réal, et cela m’avait troublé. Elles sont toujours découvertes. — J’ai le pressentiment…

La comtesse. Ah ! faites-moi grâce, je vous prie, de vos